Première expérience de conception

Cadre et objectifs pédagogiques

Au travers de l'étude de cette situation de décolonisation armée, l'apprenant doit comprendre :

Ce qu'est une lutte coloniale, la forme armée d'une décolonisation. Cette notion est sans doute la plus importante car elle recouvre aussi la logique de la plupart des conflits contemporains (Vietnam, Afghanistan, Syrie  mais aussi Mali par exemple)

Un objectif secondaire sera d'expliquer comment les événements d'Algérie ont pu influencer la constitution de la Ve République qui est le régime sous lequel nous vivons.

La déclinaison de ces objectifs en termes de jeu s'est faite conformément à ce que j'explique dans l'article: Du jeu en histoire

Conditions de victoire

Une lutte coloniale est fondamentalement une lutte de libération, une guerre révolutionnaire ou contre-révolutionnaire [1]. Il n'est donc pas inutile de rappeler ses caractéristiques.

• La population est l'enjeu du conflit plus que le territoire. Chacun des protagonistes tente de s'en assurer le contrôle : cela passe par la séduction ou par l'intimidation.
• Les différentes campagnes de séduction/intimidation auprès des populations musulmanes dans les campagnes, dans les villes et en métropole montrent que le contrôle de la population musulmane par l'un ou l'autre est l'élément-clé de la victoire.
• L'opinion publique métropolitaine est l'autre préoccupation du gouvernement français. Chaque mois de guerre la voit se lasser[2] et les attentats et manifestations indépendantistes la font également baisser.
• Le soutien de la communauté internationale joue un rôle secondaire quoique réel dans ce conflit [3].

Ces quatre facteurs seront matérialisés par des compteurs qui varieront selon les décisions prises par l'un ou l'autre camp et conditionneront la victoire.

Les habitués de jeu de guerre auront remarqué qu'il n'est pas question ici d'objectifs sur le terrain ou de destruction d'unités ennemies. 

C'est une caractéristique de la guerre révolutionnaire qui est par bien des aspects le profil de toute guerre moderne : cela permet plus facilement à un apprenant de comprendre comment une superpuissance comme les EU avec des moyens militaires considérables peut être tenue en échec au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak. 

Ceci dit, le contrôle de la population passe par le contrôle de son territoire, d'où le recours à des forces armées ou politiques sur le terrain, qui sera matérialisé par une carte de l'Algérie (hors Sahara, qui n'a joué qu'un rôle mineur dans le conflit et présente l'inconvénient d'être gigantesque sur le papier).

[1] Les trois termes décrivent la même réalité mais engendrent déjà une appréciation différente des faits : occasion de rappeler l'importance psychologique des mots

[2] Cette érosion de l'opinion publique doit devenir la hantise du joueur français ; elle va le contraindre « à mettre le paquet » pour en finir vite avec les maquisards et terroristes du FLN.

[3] Ne serait-ce que pour les facilités logistiques offertes à l'ALN par les pays voisins après 1956 (Tunisie, Maroc) ou pour l'appui politique de la Ligue arabe au GPRA.

Mécanismes de jeu

Une fois qu'on a cerné ce qu'on veut mettre au coeur du jeu, il s'agit de faire en sorte que les mécanismes de jeu soient simples et fluides. 

La première version a souffert dans sa version originelle d'une lourdeur excessive qui a nécessité de la repenser. 

Dans la première version j'ai voulu entrer dans la simulation de trop de détails que ce soit au niveau politique (acheminement d'armes aux katibas à l'intimidation entre factions indépendantistes) ou au niveau militaire ( supports aériens ou héliportés, lignes électrifiées, ratissage ou quadrillage ...).

Or la guerre d'Algérie a été un des premiers conflits asymétriques contemporains dans lesquelles sont impliquées les grandes puissances: dans les affrontements armés significatifs les troupes "modernes" ne rencontrent pas d'opposition et en termes de morts semblent remporter la victoire; pourtant elles perdent la guerre sur le long terme 

Occasion de rappeler à nos publics que  la guerre n'est pas Call of Duty qui influence souvent leur perception des choses mais plutôt "la continuation de la diplomatie par d'autre moyens" pour citer Clausewitz. Occasion de revenir sur la complexité de la notion de victoire et de défaite.

Il a fallu pour simplifier les mécanismes revenir à des questions de bon sens: pourquoi le FLN s'est-il obstiné à maintenir des maquis en Algérie si ce n'était pas pour espérer vaincre militairement l'armée française? Et pourquoi le gouvernement français a t-il dû concéder l'indépendance après 8 ans d'engagement et sans défaite militaire?

On a la réponse à la seconde question: la population française de métropole ne supportait plus ce conflit qui l'a touchée dans sa chair contrairement à la guerre d'Indochine. De nombreux appelés et rappelés "ont fait l'Algérie" tandis que la guerre d'Indochine n'a mobilisé que des troupes de métier, des légionnaires et des coloniaux. De plus malgré la maîtrise du terrain il est apparu flagrant que l'influence du FLN sur la population musulmane d'Algérie n'a pas été éradiquée, que les attentats ont continué, que les manifestations y compris en Métropole, et les atteintes aux droits de l'homme (la bataille d'Alger, "la gégène", "les camps de regroupement" ou "les corvées de bois") ont interpelé l'opinion publique, et que la communauté internationale voyait d'un mauvais oeil ce conflit.

En ce qui concerne la première question, le but de ces maquis est de maintenir une présence hostile aux forces de l'ordre ou d'occupation et de renforcer le contrôle par le FLN de la population, contrôle passant par de la propagande ou des attentats.

De ces constats procède le découpage de la séquence de jeu:

- placement des régiments français et forces de police
- déplacement/placement des unités de l'ALN  et des actions politiques du FLN 
- tentative de destruction des katibas par les régiments français
- tentative de destruction des forces de police et SAS par les katibas
- tentative de neutralisation des actions politiques et militants FLN par les forces de police
- résolution des actions politiques par les militants FLN.

Ainsi il y a beaucoup moins de pions, de jets de dés et de formules, ce qui rend le tour de jeu plus fluide.

Les actions politiques

Elles sont le vrai coeur du jeu; toutes les actions militaires n'ont finalement pour but que de les favoriser (FLN) ou de les empêcher (FLN).

Elles sont de trois types:

- Propagande cette action vise à renforcer le contrôle de la population par le FLN et donc à augmenter les revenus du FLN ainsi que son poids politique.

- Attentats cette action vise à affecter l'opinion publique et a plus d'impact dans les grandes villes (Alger, Oran).

- Manifestations cette action vise à affecter l'opinion publique et à attirer la sympathie internationale.

Les événements historiques relatifs à la guerre d'Algérie

Le jeu en propose une trentaine sous forme de cartes à jouer activables durant le semestre où ils ont eu lieu (le jeu se déroule en semestre soit 16 tours). Elles ne sont pas automatiques car il faut pour qu'elles soient retentissantes qu'on décide de leur donner une médiatisation; elles ont donc un coût.

Les événements les moins décisifs impacteront l'opinion publique (OP) de la métropole dans un sens ou l'autre, les autres auront des effets plus importants.

Ils permettent parfois de renverser la balance ou de freiner la tendance donc de relancer le jeu.

Le nombre de joueurs

De Dunkerque à Tamanrasset a été conçu pour être joué par équipes composées ainsi:

Gouvernement Français (gère les événements et l'attribution des unités entre commandements)- Commandement d'Oran - Commandement d'Alger - Commandement de Constantine (gérant chacun les déploiements et redéploiements dans leur zone respective)

GPRA (gère les événements, les PP tirés de métropole et de l'aide internationale et les katibas du Maroc et de Tunisie) - Wilayas I et II - Wilayas III et IV- Wilayas V et VI (gèrent les PP tirés de leur secteur et le déploiement des unités et actions politiques dans leur secteur).

Un 9e joueur peut gérer le MNA (Mouvement National Algérien) concurrent du FLN dans le leadership de la cause indépendantiste.

Conclusion

Cette première expérience a été intéressante -y compris dans sa première version- dans la mesure où les apprentis participants ont pour la plupart été séduits et attentifs.

L'explication des règles en elle-même a permis de faire passer beaucoup de notions relatives à la Guerre d'Algérie, souvent par le biais des réponses aux questions posées sur les mécanismes de jeu.

Le jeu, quoique trop long dans sa première version a capté l'attention des personnes pendants deux heures et ils ont été plutôt déçus de ne pouvoir finir la partie. Le constat de cette déception m'a beaucoup aidé pour la suite en me motivant à concevoir des mécanismes simples et rapides. Ainsi mon second jeu Ces Messieurs de la Compagnie a t-il été pensé pour être simple et rapide, c'est à dire comme pouvant être achevé en trois heures, explications des règles comprises.

Dans sa version finale, le jeu a permis de faire comprendre les enjeux et le déroulement d'une guerre de décolonisation. Les événements et la plus grande facilité d'action liée à l'installation de la Ve République ont permis de faire comprendre la différence entre cette république de type présidentiel et une république parlementaire.