Enseigner l'Histoire par le jeu de plateau

22/01/2022

Pourquoi et comment des jeux pédagogiques?

Introduction

Dès mes premières années d'enseignement en Histoire Géographie, j'ai eu à prendre en compte le désintérêt des apprenants pour les cours d'histoire. Ce constat désagréable s'est assorti d'un autre qui le rendait d'autant plus déprimant (ce n'est qu'à peine un abus de langage): les gens détestent l'histoire en cours, mais en sont extrêmement curieux dans leur vie privée, en dehors de l'Ecole. J'ai tenu compte de ces constats pour adapter mes supports - quand cela était possible- en travaillant sur deux axes:

- le premier pourrait avoir été inspiré par les paroles de Youssoupha dans Espérance de vie : "on ne regarde pas la télé car la télé ne nous regarde pas". Les publics que j'avais en cours avaient l'impression que l'histoire se passait ailleurs. Pour lutter contre cette idée fausse je me suis attaché avec ma collègue à chercher les documents qui parlaient des Ardennes et plus généralement à multiplier les références à notre département à chaque fois que cela était pertinent. Pareillement nous nous sommes attachés à multiplier les visites de musées locaux qui ont toujours plu.

- le second a été la conclusion d'un retour sur moi: moi non plus je n'ai pas pris goût à l'histoire par l'Ecole. Jusqu'à l'Université, je n'ai finalement rien appris (en termes d'histoire- en termes humains j'ai eu cette chance de croiser des personnes inspirantes). Mes connaissances je les ai acquises par la lecture et surtout par les petits soldats puis par les wargames. C'est la pratique du jeu puis la conception qui m'ont amené à me documenter en lisant beaucoup sur l'histoire - militaire au départ, puis de plus en plus divers car la guerre est - triste constat- toujours l'occasion pour l'humanité de mettre en oeuvre tous les progrès technologiques, médicaux, philosophiques, organisationnels.

La première expérience de conception a été par mon frère la simulation de la bataille de l'Hydaspes en adaptant les règles d'Ave Tenebrae (auteur François Marcella Froideval) . Honnêtement cela a donné un résultat lourd , beaucoup de pions beaucoup de temps pour finir la partie. De mémoire j'ai de mon côté fait des tentatives sur la Guerre des Gaules et sur la Guerre civile espagnole qui n'ont pas été plus réussis, cela expliquant peut-être qu'il n'en soit pas resté de traces.

Mais adulte, et fort d'une expérience de joueur plus riche j'ai renoué dans un but professionnel avec cette passion que j'avais eue jeune. C'est de cela que parle cet article et je vous propose donc de revenir aux bases du processus créatif: le but.

L'Education Nationale assigne à l'histoire (conjointement avec la géographie et avec l'Education Morale et Civique) deux objectifs principaux :

  • Participer à la construction identitaire (au sens d'identité individuelle) de l'apprenant en l'ancrant dans une communauté nationale ouverte sur le monde.
  • Donner des clés sur le fonctionnement des relations humaines ; cet aspect est celui qui la caractérise en tant que science humaine. L'histoire doit permettre de comprendre, d'acquérir des capacités à décrypter les interactions humaines, y compris (et je dirais surtout) contemporaines.

Si le premier objectif semble accessible au travers de cours magistraux, le second est plus complexe à atteindre car il réclame une plus grande implication de l'apprenant.

Cette complexité est due au fait que l'Histoire est la combinaison de tendances de fond mais aussi d'actions individuelles et l'étude de l'enchevêtrement de ces facteurs est ce qui donne à l'histoire son intérêt.

Pour donner un exemple: apprendre "Marignan 1515" n'a pas en soi grand intérêt sauf pour resituer rapidement cet événement dans sa période. 

Etudier l'imbrication de cette bataille dans les guerres qui mettent en jeu une puissance de plus en plus "nationale" - la France- et jouent un rôle dans la renaissance française en a plus. 

Etudier sa symbolique (la première bataille du Roi-Chevalier François Ier) est aussi l'occasion d'étudier  un moment où le monopole guerrier de la noblesse s'érode face à la bourgeoisie. En effet la guerre change de nature et devient de moins en moins affaire de valeur et d'entraînement individuel (force de la noblesse) et de plus en plus affaire de masses de professionnels donc affaire d'argent (force de la bourgeoisie). Le déroulement de la bataille illustre d'ailleurs le hiatus qui peut se créer entre faits (une bataille remportée par une combinaison de l'artillerie, de l'infanterie et de la chevalerie) et propagande des faits (victoire de la chevalerie seule face à l'infanterie).

Cette approche par la symbolique en est une parmi d'autres qui vont permettre de toucher des notions technologiques, politiques, culturelles et rendre cet épisode significatif pour un étudiant, et donc plus intéressant et utile.

Bataille de Marignan, gravure du XVIe siècle
Bataille de Marignan, gravure du XVIe siècle


Mais rendre significatif et intéressant un fait historique demande du temps, un temps aujourd'hui limité par deux facteurs : la charge horaire dédiée à cette discipline, et la capacité d'attention très variable d'un apprenant (si un sujet vient à le passionner il sera attentif tant que le sujet le passionne, se révélant même capable de monopoliser le formateur au détriment de l'attention des autres apprenants, sinon il n'aura qu'une durée infime d'attention).

Impliquer l'apprenant dans le fait historique étudié peut être envisagé par le jeu. En le mettant en situation d'être un des protagonistes, confronté à des impératifs (objectifs) et à des contraintes (règles) , à des choix tous porteurs de conséquences, à des interactions avec les autres protagonistes et à des variations de la situation, on le rend au sens propre acteur de l'Histoire et on améliore sa compréhension et son intérêt pour cette discipline.


Joueurs les plus anciens de "Ces messieurs de la Compagnie..." Lucas Sapone, Médéric Maizières, Amir Sabri, Jocéa Médéa, Camerone Bègue, Anthony Marie-Julie. Je les remercie d'avoir fait apr leur implication et leur volonté de gagner de cette expérience un succès
Joueurs les plus anciens de "Ces messieurs de la Compagnie..." Lucas Sapone, Médéric Maizières, Amir Sabri, Jocéa Médéa, Camerone Bègue, Anthony Marie-Julie. Je les remercie d'avoir fait apr leur implication et leur volonté de gagner de cette expérience un succès

Construire un jeu pédagogique

La philosophie de ces simulations est simple, dans son principe :

  • Ce qui a eu lieu doit être possible dans le jeu
  • Le jeu doit permettre ce qui aurait pu avoir lieu.
  • Le jeu ne peut permettre ce qui n'aurait pas pu avoir lieu.

Objectif

Le terme d'objectif a ici une déclinaison en deux aspects: objectif(s) pédagogique(s) et objectif(s) de jeu ou conditions de victoire.

La question à se poser pour définir l'objectif pédagogique: quelle(s) notion(s) principale(s) doit comprendre l'apprenti ? Un élément de réponse se situe dans les référentiels, l'autre dans l'éventuelle actualité.

Dans l'idéal, le fait pour l'apprenant d'atteindre les conditions doit impliquer qu'il ait également atteint les objectifs pédagogiques.

Cette étape est en soi la première difficulté de la conception d'un jeu, et une étape qu'on ne peut contourner car elle va totalement conditionner les mécanismes de jeu.

Nombre de joueurs

Dans le cadre d'un jeu pédagogique, la réflexion sur le nombre de joueurs à impliquer a une réelle importance dans la mesure où il est hors de question de laisser de côté des apprenants car le jeu n'est pas prévu pour les prendre en charge.

Mes réflexions les plus anciennes se sont bâtis en un moment où nos groupes d'apprenants étaient de très petite taille (6 à 8 apprentis). 

Plus récemment les groupes ont grandi en taille et les jeux conçus à cette époque ne sont donc plus pertinents sauf à faire plusieurs tables de jeu (un jeu simple comme Ces Messieurs de la Compagnie Cette formule  peut cependant offrir un temps d'échanges sur les différentes méthodes de jeu et de victoire et renforcer donc la réflexion sur les mécanismes pédagogiques mis en jeu.

Une autre possibilité consiste à étudier des mécanismes impliquant plus de joueurs. Ainsi De Dunkerque à Tamanrasset  peut-il opposer de 2 à 12 joueurs. Dans ce cadre, il sera nécessaire de réfléchir à ce que chaque joueur a en charge et à des mécanismes fluides. A défaut, le risque est que si une phase impliquant seulement un ou deux joueurs se prolonge, les autres se désintéressent.

Ainsi sommes nous amenés assez logiquement après avoir parlé des objectifs et des effectifs à aborder la question des mécanismes de jeu.

Les mécanismes de jeu

Ces mécanismes doivent remplir plusieurs objectifs:

être facilement compréhensibles: sur un temps de "cours" de quatre heures on ne doit pas passer deux heures à expliquer les règles faute de quoi l'intérêt des apprenants risque de s'émousser.

  • être fluides dans leur mise en oeuvre: un tour de jeu ne doit pas être trop long pour ne pas perdre l'attention des participants. Dit autrement, un joueur ne doit pas passer trop de temps à attendre.
  • être à même de traduire en termes de jeu les phénomènes qu'on veut simuler.
  • enfin, durer un temps raisonnable: cela est vrai pour les jeux de société et jeux de simulation en général, cela l'est encore plus dans un cadre scolaire. Ils doivent pouvoir tenir dans au mieux un cours de deux heures (c'est déjà très ambitieux) dans une demie journée (c'est l'idéal) ou une journée - et dans ce cas il y aura tout intérêt à ce que la motivation n'ait pas été cassée par la pause méridienne. Je ne parle pas ici des quizz qui peuvent prendre beaucoup moins de temps et sont tout à fait pertinents pour rythmer un cours.

Je ne suis jamais parti de rien pour construire ces mécanismes, les joueurs avertis pourront souvent reconnaître tel ou tel emprunt à tel ou tel jeu. 

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