Garde alternée - Printemps Automne 2021
Depuis le printemps, mes trois enfants vivaient à présent à plein temps avec moi, à l'exception des deux samedis par mois où sa mère avait le droit de recevoir Florine.
Bien que le jugement ne m'imposât que de présenter Florine à sa mère, c'est-à-dire de la tenir présente quand elle viendrait la chercher, je l'amenais ces jours-là à son domicile.
En effet, Aline n'avait pas retrouvé de travail, faute il est vrai d'en avoir cherché. Elle avait pu se faire prêter une voiture par une association de réinsertion et s'en était servi un temps pour faire ses courses et peut-être ses démarches administratives. Puis l'association vint rechercher la voiture, faute que les loyers en aient été payés ou faute d'avoir des justifications ou des comptes-rendus de l'avancée des efforts de réinsertion. Hors ce moment, elle n'eut jamais de voiture à elle, se reportant sur les compagnons de beuverie qui en avaient encore une. Ainsi ne put-elle qu'une fois ou deux venir chercher Florine, négligeant d'ailleurs de me la ramener le soir, ce qui me forçait à aller la rechercher.Je finis donc par emmener ma petite dernière moi-même chez sa mère, qui refusait obstinément de me laisser ne serait-ce que franchir le seuil de sa porte.
En un sens, ce n'est pas que je fus tant soucieux d'entrer dans ce qu'était en train de devenir la maison qu'elle avait pu obtenir par une amie, laquelle ne le fut plus après que sa belle-mère eût commencé à courir après ses loyers impayés. De ce que j'en voyais de la terrasse, la moisissure commençait à se développer par endroits, faute de chauffage. Il y avait immanquablement des cadavres de bouteilles bues la veille - de whisky mais aussi de bière ou de pastis qu'elle ne buvait pas. Les rares fois où je m'approchais du seuil, l'odeur de tabac froid me gagnait les narines et me rappelait l'époque où je fumais aussi à l'intérieur. J'avais arrêté cette pratique pour ne fumer que dehors, quelque soit le temps, afin d'épargner les papiers peints et plafonds de ma maison, ainsi que la santé de mes enfants. Surtout, j'avais fini par assimiler l'odeur du tabac froid aux lendemains de beuveries, à l'impression de vivre dans une crasse permanente.
Attendre dehors ne me gênait donc pas tant, si ce n'était que j'aurais voulu épargner à Florine le spectacle d'une guerre froide entre ses deux parents. Me génait plus le fait le soir de récupérer ma fille avec des habits sales qui n'étaient pas ceux que je lui avais fait revêtir le matin. Je finis par devoir renoncer à l'autoriser de s'habiller des vêtements que nous choisissions ensemble en lui expliquant que sinon, elle ne pourrait plus les mettre pour aller à l'école, car maman oubliait de les lui remettre. D'autres fois je dus aller la chercher ailleurs que chez sa mère. Je dus sans cesse rappeler à Aline les termes du jugement. Une autre fois encore, je vis chez elle une espèce de gnome sale, mal rasé et dégarni qui m'apostropha et m'insulta sous les yeux de Florine. le reste du temps, il apparut qu'elle ne faisait rien avec Aline, restant parfois seule à la maison sans pouvoir me dire où était sa mère.
Ces visites demandaient de la préparation qui se faisait par messages, conversations numériques qui m'éprouvaient car il était impossible de rester cantonné au sujet du séjour de Florine. Aline m'inondait de demandes -que je refusais maintenant- d'insultes ou d'accusations à mon encontre ou à l'encontre de Perrine - nous accusant d'avoir monté tout le monde contre elle- et de menaces - la plus récurrente maintenant qu'elle ne pouvait plus me menacer de me faire retirer la garde des enfants étant de vendre la maison.
Elle m'avait souvent menacé de vendre la maison; au début j'avais fini par essayer de la convaincre de l'inanité de cette décision qui ne lui rapporterait rien et qui n'aurait pour fin que de nous mettre, elle et moi, dans les embarras. A cette époque, cette seule perspective lui suffisait, lui donnant peut-être encore l'impression de pouvoir influer sur les événements. Je la voyais glisser de plus en plus sur la pente de la déchéance mais j'avais terminé d'en culpabiliser.Les longs échanges avec Laure et d'autres avaient fini par réussir à me convaincre que je ne pouvais rien pour elle, que je n'avais jamais rien pu. Je ne voyais plus en elle qu'une menace pour les enfants tant qu'elle ne se soignerait pas. Mais je ne me jugeais plus responsable de sa décision. J'admettais peu-à-peu que sa descente aux enfers n'était la résultante que de ses choix propres, et que tant que j'avais été là, j'avais pu freiner mais jamais contrarier cette pulsion auto-destructrice.
J'avais admis également l'idée que même si elle avait besoin de ses enfants pour remonter sa pente, ce n'était pas juste, que ce n'était pas leur rôle de servir de béquilles, pour reprendre une expression de madame R***. Débarrassé de cette culpabilité je ne souffrais plus autant de ses menaces et n'en voyais que le côté grotesque auquel je répondais mécaniquement, qu'en tout état de cause elle ne pourrait rien faire sans mon accord. Mais j'en avais assez d'être agacé par ses démonstrations futiles de volonté de nuire.
Je finis par en avoir assez aussi de tous les manquements qui émaillaient chacun de ces samedis, et les notai par le détail pour faire annuler le droit d'hébergement simple dont jouissait encore si mal Aline, le dossier fut suffisamment plein à l'automne et je déposai à ce moment ma demande de révision de la garde alternée.
Nous fûmes reçus en audience en novembre et elle vint cette fois par ses propres moyens. Elle ne dit rien ou presque, elle parvint à rester maîtresse d'elle-même quand le juge donna droit à mes demandes.
Elle m'insulta à peine quand nous ressortîmes du tribunal; ce dernier coup l'avait peut-être bien fait basculer pour de bon, mais je n'en avais plus rien à faire. Je savais que Florine n'avais pas besoin de sa mère pour aller bien, elle n'avait pas de souvenirs heureux avec elle, simplement ceux de jouets restés là-haut, d'un chaton qui avait failli être écrasé dans une dispute entre sa grande sœur et sa mère, des nuits passés dans le lit avec sa sœur pour ne pas entendre le bruit en bas dans le salon.
Quant à Aline, rien ne l'empêchait de se ressaisir si elle le souhaitait. Moi, j'avais fini de vouloir à sa place.